Thé CCCXXXIX
Aaaaarrrgh !
— Tu t’as brûlé, Oncle Papistasse ?
Ce n’est pas le thé ! Mais le souvenir du cauchemar qui a habité ma courte nuit.
— Raconte, Oncl’Papistass’ ! Nous te tartinons une tranche de pain grillé et nous ouvrons nos six ouïes.
Ce soir, en rentrant, je découvrais trois cent soixante-cinq commentaires au pied du bloc-notes.
— Trois cent soixante-cinq ? Et ?
Mais songez, neveux insouciants, que l’habitude m’est venue de les lire tous.
— Mais Oncl’Pap’, où se nisse donc le problème ?
Ah ! Neveux quémandeurs, c’est que je considère qu’il me faut consacrer, au bas mot, quinze secondes à la lecture de chacune de ces sympathiques observations. Et, trois cent soixante-cinq divisés par quatre, je vais devoir me plonger une heure, trente et une minutes et quinze secondes dans cette activité.
— 1 h 31 min 15 s ! C’est Mamoune qui va regarder la pendule !
Oui, famille inquisitrice, mais... je me dois d’y répondre également. Et là, même en faisant vite, je ne puis guère éviter de réserver une minute à chaque gentil message. Trois cent soixante-cinq minutes, c’est, voyez-vous, petits analphabètes aimés, six heures et cinq minutes.
— 6 h 05 minutes !
Exact, ajoutées à l’heure et ses trente et une minutes quinze secondes, voici sept heures trente-six minutes et quinze secondes absorbées par la correspondance au retour du travail.
Songez, petits ignares chéris, que je passe déjà dix heures hors de la maison pour permettre à votre tante de vous offrir de dispendieux cadeaux à martyriser autour du cadavre d’un Abies alba de belle facture !
Alors !
Dix heures au travail, sept heures trente-six minutes et quinze secondes de correspondance, ajoutons quinze minutes pour le repas du matin, autant pour le thé de dix-sept heures trente et trente minutes pour le dîner, voici :
10 h + 7 h 36 min 15 s + 15 min + 15 min + 30 min = 18 h 36 min 15 s retranchées au temps que je me donne pour écrire ma chronique du jour.
— Mais Onc’, la maîtresse d’école, avant de sombrer dans une grave dépression, nous a appris que les journées comptaient vingt-quatre heures !
Ah ! descendance inexpérimentée !
24 h - 18 h 36 min 15 s = 5 h 23 min 45 s, or j’ai un impérieux besoin de deux heures franches pour rédiger, mettre en page et poster mon billet. Voici donc ma nuit réduite à trois heures vingt-trois minutes quarante-cinq secondes.
— Et notre histoire, avant de nous endormir ?
Cruels fils de ma sœur, vous m’achevez ! Vingt-trois minutes et quarante-cinq secondes vous suffiront-elles ?
— Bien sûr, vieux tonton décati ! Nous ferons avec !
Trois heures !
Trois heures de sommeil paradoxal seulement.
Et encore !
En sacrifiant tout le sel d’une existence !
— "A qui ces discours qui montent dans la cage d’escalier jusqu’à la salle de bains ?
— Ah ! Epouse-Enfin-A-Mes-Côtés ! Je m’inventais des neveux à éduquer en attendant que le breuvage amer refroidisse. Je n’aimerais pas que nos chroniques atteignent, de mon vivant, un succès plus que confidentiel. J’y perdrais le boire, le manger, le sommeil, la raison et ton amour.
— Ai-je bien lu que tu aimerais que je caresse plus souvent ton crâne chauve ? Reste assis ! Est-ce bon ?
— Mmmmm ! Faut-il vraiment passer dix heures hors de la maison ?"