Thé CCCXXXVIII
Avez-vous remarqué ce nouveau geste qui m’accompagne désormais ?
Ma compagne me l’a, gentiment, fait observer hier soir.
Observé hier, pratiqué depuis quand déjà ?
Depuis quand ma main posée sur mon front remonte-elle lentement à la rencontre d’une chevelure que je sais ne plus exister que sur les photographies jaunissantes de cadres démodés ?
La vitre de la fenêtre de la cuisine fait office de miroir
— la nuit règne encore au dehors —
et je vois mon reflet terreux qui se caresse le crâne.
Il faut aller chercher loin les derniers cheveux.
Avant.
Arrière.
Avant.
Arrière.
Je polis mon crâne.
Pas de bosse.
Ni des maths.
Ni de la chance.
Ni des rêves.
Un œuf.
La métaphore n’est pas neuve.
Parfois, en attendant que l’eau du bol veuille atteindre la température de circonstance, vous me voyez, le coude fixé sur la table, main posée sur le front, les doigts ouverts, je dodeline de la tête.
Câlins.
Auto-câlins de la calvitie.
Massages.
Douces frictions.
Lents frôlements sensuels.
une jeune idée,
juste issue d’un neurone esseulé,
s’approche à la surface de l’os.
Souple,
élastique,
elle se faufile entre le pariétal et le frontal,
attirée par l’espérance d’une existence lascive et douce.
Elle pointe sa pimpante et fringante soif d’amour au jour artificiel de ce matin d’automne encore, empressée de vivre auréolée d’amour et de désir...
Paf !
Je l’empoigne,
je la jette sur la table,
l’aplatis d’une main dure et agressive.
C’est que, mille dominos, je dois noircir encore une chronique avant 6 h 01 !
Voyons ce qu’il m’est sorti du crâne, aujourd’hui !
Sur la tête de mes premiers vers !
J’ai cogné un peu fort,
elle est toute déformée.
Voilà une idée qui n’a plus apparence humaine.
Pauvre petit papillon attirée par la caresse trompeuse d’un buveur de thé en manque d’inspiration.
Son existence fut brève.
Allons que je l’épingle dans le grand registre des condoléances des 365 chroniques.
Tchiii !
"Encore une que les “Schleus” ne boiront pas !" disait mon grand-père en vidant une bouteille de son corrosif cidre bouché.
Idem pour la petite vicieuse, trop tôt échappée du crâne corrodé du grand-père que je suis devenu.
Je reprends ma lente cajolerie crânienne.
Epouse-A-Sa-Toilette m’accorde un quart d’heure supplémentaire de masturbation encéphalique.
Vous vous rendrez compte,
en lisant,
si je n’ai pas trop meurtri la fraîche jouvencelle
qui se sera hasardée au-dehors.