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365 chroniques ridées depuis un bol de thé amer
25 septembre 2007

Thé CCLXVIII

       — “Epouse-Qui-Aime-Les-Contes, veux-tu ouïr celui-ci ?
        — Mon thé refroidit, je suis prête à t’ouïr.”

                Hier, midi trente. Midi et demie. 12 h 30.
                Assise face à moi, Grenouille s’empare d’une pomme.
                Dans sa main droite, un couteau.
                Elle va trancher sa pomme.
                Et là, sous mes yeux, l’invraisemblable survient.
                Impensable. Impondérable.
                L’accident bête qui n’aurait jamais dû se produire.
               Un couteau effilé, pas un de ces instruments de collectivité — bien que le déjeuner soit servi à la cantine d’entreprise — non, un vrai à manche de bois et lame d’acier forgée à Thiers ou à Hyeures.

                        Je suis spectateur. Je ne me doute de rien.
                        Combien de fois Grenouille a-t-elle répété ce geste en ma présence ?
                        Des dizaines ?
                        Des centaines ?
               Occupé à ronger les pelures qui jonchent mon assiette, je n’ai jamais prêté garde à son cérémonial.
                        Chacun le sien.

Pourquoi, hier, suivais-je ses mouvements ?
Prémonition imbécile puisque je n’ai pas retenu son bras.

Je revois la scène.
La main de Grenouille n’hésite pas, elle se tend vers la première pomme qui s’offre à elle. Les mains hautes, proches du visage. La gauche enserre le fruit tandis que la droite saisit le couteau. La lame s’approche et...

                            l’inimaginable,
                                                        l’ahurissant mouvement...

Grenouille, d’un geste assuré, sectionne la pomme en deux parts non symétriques.
Je reste sans voix. La pelure gourmande que je tenais à la main retombe dans mon assiette.
       

        — “Eh quoi ? Aurais-je du persil sur les dents ?
        —  Grenouille ? Ta pomme ?
        —  Ma pomme ?
        — Tu ne l’as pas coupée par le milieu ?”

Epouse-Pendue-A-Mes-Lèvres, patiente encore un instant, je termine.
Depuis des temps immémoriaux, tu le sais, je n’ai qu’une manière d’aborder la pomme, celle que tu connais.

Je partage le vénérable aliment en deux moitiés égales. Je prends soin d’en chercher l’axe de symétrie. J’évide alors soigneusement le cœur de chaque moitié d’un agile mouvement circulaire de la pointe du couteau. Je réalise ensuite sept petits quartiers de la première moitié et cinq de l’autre parce que cinq et sept font douze et que j’aime à peler, du haut vers le bas les douze tranches obtenues.  Je rassemble les deux petits cœurs sacrifiés et les recouvre du linceul formé par la peau délicatement ôtée aux douze quartiers.
Puis, je croque chacune des douze petites parts rangées en cercle autour de mon assiette en commençant par celle qui marque une heure pour finir par celle qui marque midi. Trois bouchées de l’une, deux de la suivante et ainsi de suite. Mon dessert est terminé.

          — “Quelle messe, Grenouille, peux-tu assurer en procédant ainsi ?
          — Le morceau que je coupe, je le porte à la bouche.
          — Quoi ? Est-ce tout ? Pas de liturgie particulière ? Ainsi, quand tu manges une pomme, tu...
          — Oui, je mange une pomme.
        — Enfin, quand même ? Une petite cérémonie au moins ?  Non ?  Un semblant... tu manges une pomme... comme un sanglier qui trouverait un gland sur son chemin...”

J’abrège mon récit, Epouse-Bon-Public, ton thé a atteint sa température idéale. Je te sens néanmoins dubitative. Le manque de solennité que Grenouille installe dans son rituel te jette, toi aussi, dans des abîmes de perplexité ?

— “Maigre-Epoux, tous les prétextes te sont bons pour retarder notre départ. Je ne t’ai jamais connu qu’une façon de manger une pomme :
Tu croques dans le fruit et ne laisses ni trognon, ni pépins, ni peau, ni pulpe, ni queue. En fait la queue, tu en recraches parfois les dernières fibres indigestes si tu es dans la nature. Qu’en présence de tes collègues de travail, tu daignes peler le fruit, je te l’accorde. Tu sais faire. Mais tu t’es trahi au sujet des pelures. Ta cérémonie solennelle s’accorderait-elle de cette pratique brouillonne ?
Je ne t’écoute plus.

Ta journée de travail est commencée.
                En route.
                            Avale ton thé.
                                            Il est froid !”
                               

            J’aurai essayé !

 


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Commentaires
P
Pas de dessert aujourd'hui.<br /> je laisse Grenouille massacrer son fruit et je réponds au défi de Claire.<br /> <br /> CLAIRE.<br /> Le fait est que votre prénom ne comporte pas de T.<br /> Encore que ?<br /> si l'E fait T (le fait est ) alors c'est CLAIRT le T clot votre pseudo.<br /> Bienvenue au club !
C
plus dur le C, un petit défi pour Papistache.<br /> Pour les pommes, moi, j'aime les manger en rondelles très très fines. <br /> Bisous
V
Merci papistache :D<br /> Pour la demonstration et pour l'acceuil :D !
P
Val s'est exprimée.<br /> Alors Val a voté.<br /> Donc puisqu'A vaut T (a voté)alors Val aussi a droit à son T.<br /> Nul ici ne voudrait l'en priver.
V
J'aurai bien commenté mais comme mon pseudo ne contient pas de T j'voudrais pas déranger.
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