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365 chroniques ridées depuis un bol de thé amer
24 septembre 2007

Thé CCLXVII

Le monde vu depuis la hauteur d'un enfant ! Voici des années que je ne m’étais mis à plat ventre sous la table du salon pour jouer à cache-cache derrière une chaise.
J’y suis resté plus longtemps que prévu.
                                                                        Coincé.

La nature a bien prévu les choses. Devenir père à l’automne de sa vie doit priver bien des bébés des enfantillages de leur géniteur.

Heureusement, le tapis — celui-là même qui se fait toiletter tous les ans aux feuilles tièdes de thé vert — empêchait le carrelage de me communiquer sa fraîcheur.

Tout avait commencé par un jeu.

Mowgli — jamais loin de sa mère — exerçait sa jeune force auprès des chaises du salon. Le grand-père, par le jeu tenté, s’était glissé à plat ventre et avait mimé une reptation animale. Amusé, le bambin cachait son regard derrière un barreau. Quand il  tenta une vocalise, chacun,
par bonté d’âme, s’ingénia à la considérer comme une réponse au coucou du vieillard aplati.

Le drame a surgi quand le petit d’homme, lassé des grimaces du père de sa mère, se retourna vers sa nourriture préférée : les pages cartonnées d’un album où un agnelet cherche sa mère aux quatre coins d'une ferme flambant neuf : “Où es-tu maman ?”

Le grand-père dignement allongé sous la table s’avéra, tout soudain, incapable de se relever seul.

Appeler les pompiers, scier la table de merisier pour dégager le grand corps bloqué, en jeter les morceaux ( de la table, hein ! pas du bonhomme !) dans la cheminée où brûlait déjà un joyeux feu de bûches pour redresser la carcasse en position verticale ne fut quand même pas nécessaire.


L’invalide ne fit aucun commentaire. A peine si certains convives remarquèrent que sa station allongée se prolongeait plus que de raison. Mowgli avait délaissé son livre, éparpillé quelques anneaux arc-en-ciel, lancé un hochet de bois bicolore, vidé un bol de salive sur son tricot et rampé vers l’âtre — rattrapé par sa mère aux aguets et remis sur son territoire — que le pauvre perclus faisait mine de s’intéresser à la géométrie cachée de la grande table sous laquelle il purgeait sa réclusion temporaire.


Enfin, profitant d’un pleur de l’enfant qui monopolisa toute l’attention de l’assemblée soudain convergente, l’ambitieux aïeul entama un peu glorieux rétablissement. S’appuyant sur la chaise, qui tout à l’heure aidait son petit-fils à se dresser sur ses jambes neuves, le pauvre narrateur fut contraint d’imiter l’enfançon pour retrouver la verticale position que son statut d’adulte n’aurait jamais dû lui faire perdre.

Tous, toutes eurent le tact de ne pas remarquer la lenteur appliquée consacrée à ce rétablissement ; seul Mowgli, me semble-t-il, eut un petit froncement des narines dans lequel je crus lire :
— "Eh Grand-Père ! Je vois que j’ai un imitateur. Encore un effort et tu seras aussi leste que moi."

Le bel enfant ignore — mais c’est de son âge — qu’il est à l’aube de ses acrobaties quand le crépuscule des miennes pointe ses voiles sombres.

Mon thé avait plus que tiédi, mais le boire debout fut ma récompense.
Viendra le temps où je devrai le prendre avec une paille pour ne pas tacher mes draps.

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Commentaires
T
Petite nouvelle...<br /> Je viens moi aussi profiter de ces moments aussi légers que clairvoyants....<br /> Ou : la vie regardée avec bonne humeur ...<br /> Hummmm<br /> Je r'viendrai !!!!!
C
Vous ne croyez pas si bien dire, Papistache. Dans certaines salles ou parties de salle réservées aux moins de 5 ans, tous les livres sont au ras du sol. Pour ma part, quand je leur raconte des histoires, je prends toujours une petite chaise. D'abord parce que je suis souvent en robe ou en jupe et ensuite parce que j'aurais besoin d'aide pour me relever. Quand aux bacs un brin plus hauts, il faut éviter les décolletés pour pas que les papas se rincent l'oeil quand on cherche un album. Tout un art ;-)
P
Kloelle, un conseil toutefois : reprenez vos cours de yoga interrompus ! On n'est jamais trop prévoyant...
P
Tilu, je suis cuit.<br /> Le menteur n'étant jamais cru !<br /> Une anecdote pour vous.<br /> Une institurice (du Var) nous disait un jour qu'un de ses élèves lui confiait ceci :<br /> — Je t'aime bien maîtresse !<br /> "— Ah oui ! et pourquoi m'aimes-tu autant ?<br /> — Parce que tu ressembles à ma mamie !<br /> — .... grand silence.<br /> L'institutrice n'avait pas encore quarante ans !<br /> Depuis elle a gagné ses galons de grand-mère tout en effectuant, à l'occasion, un gentil trakking dans le désert du Yémen.<br /> <br /> <br /> Mais Claire ? Faire pleurer une malade, est-ce bien raisonnable ? Je vais tenter un de ces jours un billet analgésique.<br /> <br /> L'autre Claire : Ne me dites pas que vous recevez vos jeunes clients à genoux. Quoique, dans certaines bibliothèques je connais des rayonnages inaccessibles aux vertèbres soudées. Et qui donc les regarnit ces rayons ?<br /> <br /> Miss-Ter, Epouse-Dubitative vient de me dire : "C'est vrai, tu es resté coincé sous la table ? Je n'avais d'yeux que pour Mowgli." <br /> Je crois cependant que j'ai encore de bonnes parties à faire avec ce bambin et ses futurs cousins, cousines, frères, sœurs...<br /> <br /> Logarithm, je suis très heureux d'avoir de vos nouvelles. La compagnie, vous le sentez, est toujours bonne ; votre tasse est restée dans le vaisselier, je la sors quand vous voulez !<br /> <br /> Ne me plaignez pas Casa, ou plutôt si... j'aime bien me faire plaindre.
K
C'est un billet qui m'émeut particulièrement....je pense souvent à la joie que j'aurai à jouer avec les petits-enfants que mes enfants encore petits me feront un jour.
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