Thé CCXLIX
CHRONIQUE PROVENÇALE
(A lire avé un assent approximatif)
Les argéras ! C’est une plante sympathique qui fleure bon la Provence.
Souvenez-vous !
La rumeur de ces derniers jours était passée par les argéras.
Soleil !
Abeilles !
Papillons !
Cigales !
Tiens ! Les cigales aussi. Quoique, cette nuit, je ne les ai pas entendues ces fichues cigales. Elles m’auraient alerté. Elles m’auraient dit, les inspiratrices de Daudet, que je devrais me méfier des argéras.
Déjà, hors quelques botanistes méridionaux, qui a jamais entendu parler des argéras ? Mon traitement de texte les peint en rouge ; je les voyais plutôt gris, avec (avé) des fleurs en clochettes, un tronc grêle et écailleux comme de grandes bruyères arborescentes de chez nous, en Papouasie.
J’ai passé la nuit dans les argéras. Je ne vous conseille pas. Mon épiderme délicat, préservé du soleil pour approcher le grain de peau des nonnes encouventées, a souffert le martyr.
Que personne ne se roule dans les argéras.
C’est très désagréable !
De prime abord, l’odeur, insolite au lit conjugal, m’avait entraîné vers les Maures. Maurin coursait les jolies filles. Je regardais passer les gendarmes transpirant sous leurs bicornes.
— Oh ! non ! Je n’ai vu personne. Je ne suis pas d’ici. Je cherche les argéras.
Pas besoin des conseils de la maréchaussée, une odeur tenace de garrigue chauffée à blanc me conduisait au vallon tant vanté.
Pourquoi, au soir, Epouse-Aux-Yeux-Brillants, avait-elle tant insisté pour dormir fenêtres ouvertes ?
— Ne ferme pas la fenêtre de la chambre, s’il te plaît, en te couchant, tu seras gentil.
Tu seras ! Pas “tu serais” ! Je connais assez Epouse-Aux-Yeux-Qui-Se-Ferment pour savoir que ce “s’il te plaît” signifie : “Tu fermes la fenêtre, et je suis veuve.”
Je l’ai connue en Corse.
Trois gouttes du sang de Colomba coulent dans ses veines.
Six degrés attendus demain matin ! Basta, je laisse la fenêtre ouverte !
Bien m’en a pris !
Les senteurs qui sont entrées ont engourdi mes sens et m’ont porté vers les argéras dans lesquels je me suis roulé.
Mal m’en a pris !
Incommodé au plus haut point, irrité, le corps strié de boursouflures, je me suis levé et, à tâtons, me suis dirigé vers la douche pour éteindre le feu qui me brûlait des pieds à la tête.
L’odeur régnait aussi à la salle de bains. Craignant que les argéras ne fussent aussi en sentinelle sous la douche, j’ai entrepris de descendre l’escalier sans allumer la lumière.
Le brume percheronne étendait ses lambeaux jusqu’au salon. Epouse-Fada avait laissé béantes toutes les ouvertures de la maison.
Jadis, muni de toute ma faculté (féminin singulier) j’aurais subodoré quelque facétie. Là, dans le froid et occupé à imprimer des sillons supplémentaires, de mes ongles trop durs, sur mon torse irrité, je ne songeais qu’à retrouver mon lit quand les fragrances méridionales se firent plus intenses à l’approche du bureau d’Epouse-Présentement-Endormie.
J’allumai !
Oh ! Pécaïre !
Une entente illicite s’était faite dans mon dos ! Ah ! Coquine(s)! Il fallait donc que les fenêtres fussent ouvertes, pendant mon sommeil, pour faire accroire la légende d’un Mistral soufflant à contre sens pour véhiculer jusqu‘à notre lit une brassée de la lavande coupée de main de maître par certaine lectrice de nos aventures à l’eau de thé.
Je n’ai pas dormi dans les argéras (A propos, chez nous, en métropole, on nomme cette jolie plante “ajonc”. Maintenant, roulez-vous dans les ajoncs, je vous aurai prévenus.) j’ai dormi dans la lavande qu’Epouse-Espiègle a glissée, à mon insu, sous la couette. C’est que, moi, réflexe pavlovien oblige, quand la fenêtre est ouverte, la nuit, je dors nu !
La vengeance n’est pas qu’un plat qui se mange froid. Tout à l’heure, elle se boira tiède. Je vais faire infuser les sommités florales du lavandin de Tilu (Tant pis, je dénonce, je dénonce ! C’est pas beau, mais c’est pas une maîtresse d’école provençale qui me mettra au coin avant longtemps ! De plus, j'ai tout ce qu'il me faut à la maison !) et Epouse-Conspiratrice apprendra à goûter la tisane d’argéras.
Tilu, elle, est déjà punie, elle joue du piano à neuf doigts !
Encore 117 !