Thé CCXLVIII
Les barillets sont neufs.
Ne sortez pas les pistolets !
Les clés ont été changées.
Plus d’intrusion à craindre.
Le bloc-notes redevient sage.
Le vieux monsieur se lève en geignant. Pendant que son épouse se douche en espérant qu’une fois sèche, la balance lui dira qu’elle est toujours la plus belle, il descend l’escalier branlant en tenant fermement la rampe qui godille. Le vide l’attire, un jour il chutera.
Dans la cuisine, il tourne le robinet qui goutte et remplit la bouilloire qui fuit un peu. Pendant que l’eau chauffe, il dresse la table, va feuilleter un magazine périmé aux toilettes, se lave les mains et constate qu’il a oublié de tourner l’interrupteur de la plaque électrique. Il jure et peste contre le retard qu’il s’inflige et s’auto-punit en tartinant le dessous de sa tranche de pain, si carbonisée qu’il a dû la gratter, au-dessus de l’évier bouché, où s’empile la vaisselle des jours précédents.
2007 est son année de vaisselle !
La confiture, sujette à l’attraction gravitationnelle de la terre, ravie de l’aubaine s’arrête au contact du carrelage. Petite course d’un mètre, bien la peine d’étaler sa science pour une si courte distance.
Le vieux monsieur jette un sachet de thé bon marché dans les deux bols, manque le premier et répand une partie du contenu du second sur la table, détrempant au passage les biscottes sans sel de son épouse contrariée par la mauvaise foi de sa balance. Une ingrate, achetée à prix d’or au Prikigrimp’ du quartier, incapable de se plier à la moindre concession.
La vieille dame grincheuse imprime les dessins de la semelle de ses charentaises dans la confiture et s’irrite en songeant que 2007 est son année d’entretien du carrelage.
Muets, tous les deux, ils avalent leur thé, elle en silence et lui à grands renfort de bruitages odysséens.
La pendule, inflexible, les rappelle à l’ordre et les informe qu’ils seront considérés comme indésirables entre les murs de la masure de 7 h 30 à 17 h 30.
D’un pas lourd et collant pour l’une, ils se dirigent vers le garage resté grand ouvert toute la nuit et véhiculent leurs cellules épuisées vers le banc de forçats où la nécessité les a cloués pour l’éternité.
Ils effectuent un tour du pâté de maisons pour revenir fermer le portail avant de s’élancer sur les froides routes du département où la brume qui s’élève leur cachera l’existence du soleil. Ainsi, arrivés une heure en avance sur leur lieu de douleur, ils se maudiront, comme chaque matin, pendant soixante minutes en s’accusant mutuellement de n’avoir jamais réussi à comprendre le fonctionnement du nouveau réveil ce qui les oblige à ne se fier qu’à la pendule de la cuisine, rescapée des années fastes, dont il a fallu, jadis, vendre la petite aiguille pour payer les études des enfants.
— Si tu savais régler ce radio-réveil, j’aurais pu trouver le temps de quitter mes charentaises, maugrée la vieille dame pendant que son chétif époux peine à nouer les bretelles de son pantalon qui tire-bouchonne sur ses chevilles grêles.
Quelques coups de klaxons ironiques, chichement distribués, viendront saluer les deux vieillards occupés à remplir, au bord de la départementale leur remorque d’herbe à lapins dont ils tireront trois sous sur les marchés des environs.
A la réflexion, je me demande si la vérité, nue dans son authenticité, drainera autant de lectrices que l’artifice ?
— Epouse-Emue-Aux-Larmes-Au-Sortir-De-La-Douche, j’ai besoin de ton conseil avisé.
— J’ai perdu deux cents grammes ! J’ai perdu deux cents grammes !
— Joli coup ! Mais, voudrais-tu lire ma chronique du jour. J’ai peur d’en avoir trop fait !
— T’ai-je dit que j’avais perdu deux cents grammes !
— J’admire l’exploit ! Mais, ma chronique ? Ne suis-je pas passé à côté, ce matin ?
— Te rends-tu compte ? J’ai perdu deux cents grammes ! Sans me priver ! Rien que par la volonté !
— C’est très beau ! Mais ? Juste un œil sur mon billet ! Ton avis m’importe tant !
— Je n’en reviens pas ! J’ai perdu deux cents grammes ! Mais quel est ce bazar dans la cuisine ? Où as-tu déniché des biscottes ? Trempées, de plus !
— Madame Yvonne me les a prêtées hier soir pour une mise en scène réaliste dont l’idée m’est venue en cueillant des glaîtrons pour les lapins.
— Foin de glaîtrons et de biscottes ! Deux cents grammes, ça laisse la place à un croissant au beurre. Tiens, prends cent sous et cours chez Mme Patapin ! Elle est revenue de vacances aussi blanche que feu notre automobile.
— Ma ...
— Je m’en charge. Si elle est à mon goût, je la poste. Sinon, tes lectrices n’auront qu’à en faire réchauffer quelques vieilles. Tes chroniques sont de ce siècle, elles supporteront bien les micro-ondes ?