Thé CCCLIV
— Mon petit homme chéri...
Ouille !
— ... je te laisse porter les colis à la poste ce matin...
Ou-ouille, ouille !
— ... j’aimerais qu’ils partent aujourd’hui...
Ou-ouille, ou-ouille !
— ... en colissimo,
Ou-Ouille² ! ou-ouille² !
— ...prends le carnet de chèques. Je pars. Bisous.
Aller à la poste, six jours avant Noël, je vais devoir me passer de mon thé matutinal.
Je connais bien son mode de fonctionnement à mon thé.
D’abord un court séjour dans l’estomac.
"Bonjour monsieur, bonjour madame, comment allez-vous ?
Bon, j’y vais, j’ai du ménage à faire !
Salut le foie, tu t’fais pas trop de bile ?
Bientôt les fêtes, attention je passerai plus souvent, congés obligent."
Déjà l’intestin, puis passage rapide dans le sang.
"Oh ! Des globules ! On fait la route ensemble."
Une commère ce thé ! Il s’arrête dans chaque cellule.
"Bonjour madame, c’est les éboueurs,
n’auriez pas un p’tit déchet à nous donner.
Une toxine ?
Ouais !
C’est bon, je prends ! Allez, donnez !"
Le même scénario tout le long du chemin !
Puis les reins.
"Bon, salut les globules, bonne trotte, j’arrête là !
J’prends les déchets, j’passe devant la benne, j’viderai tout au passage."
Ah ! La vessie !
"Bonjour madame, vous vous entendez bien avec la p’tite prostate ?
Pas trop envahissante ?"
Eh ben,
la vessie pleine
dans la queue
à la poste
c’est un coup
à pisser
dans son froc !
Donc je pars à jeun !
Je ne veux pas risquer de devoir me soulager entre deux voitures. C’est qu’en dehors de la blogosphère, j’ai ma réputation à préserver. Un prêtre qui urinerait sur la voie publique ça ferait tache.
A jeun !
Bon, je fais court: J’étais tout seul !
Aucun alibi pour ne pas faire un brin de ménage en attendant le retour d’expédition d’Epouse-J’ai-Pris-La-Carte-Bancaire.
Qu’à cela ne tienne ! Une fois dans l’année, n’a jamais tué son homme !
Voilà, que je range,
que je déplace la poussière,
que je remplis la poubelle,
que je retrouve des compagnons que je croyais morts et enterrés.
Bon, je fais court : Trois grosses heures à briquer.
Juste un petit thé à dix heures trente.
Midi. Je m’interromps.
Faire réchauffer le plat mis de côté pour l’occasion !
Midi quinze !
Curieux, d’ordinaire, elle téléphone quand elle quitte les magasins. Bon, elle sera dans une grande surface où l’ouverture est continue.
Midi vingt !
Inutile que je l’appelle, je sais que son téléphone est à sens unique. Elle n’entend jamais la sonnerie. C’est un modèle expérimental qu’on lui a vendu. Je crois même qu'on le lui a donné.
Midi vingt-cinq !
La gendarmerie aurait appelé ?
Une portière ?
Non, c’est madame Yvonne qui rentre du marché !
Midi trente !
Si je parviens à museler l’impatience de ma vessie, il ne lui est rien arrivé !
Midi trente-cinq !
Si elle est morte, aurais-je la volonté de terminer mes douze derniers billets ?
Midi trente-six!
Ah ! C’est maintenant que je fais la queue et pourtant je suis tout seul.
Tout seul ?
Tout seul ! ! !
Pour la vie ?
Midi trente-sept !
Laquelle des filles vais-je appeler la première ? L’aînée, Rosette ?
Midi quarante et une !
Afficher un air détaché !
— Déjà de retour ?
— J’ai essayé de t’appeler, ça sonnait occupé en permanence ! Tu as dû mal repositionner le combiné.
— J’ai fait du ménage !... Oh ! Thé maudit !
— Que t’arrive-t-il ? Où cours-tu ?
Riez, riez ! Ça soulage ! De toute façon, je devais changer de pantalon, celui-ci était trop léger pour la saison !