Thé CCCXVII
Comment chasser le rhinocéros ?
Un lundi, sur une souche, placer un énorme chou vert et laisser s’approcher l’animal.
Il vient et sans se presser dévore le chou.
Recommencer ainsi chaque matin pendant toute une semaine.
Le dimanche, placer un chou de Bruxelles.
Le rhinocéros s’approche et s’exclame :
— Ça ! Un chou ! Mon œil !
Profiter du geste joint à la parole pour ajuster une balle dans l’œil de la bête.
— Ça ! Une chronique ! Mon œil !
Mon œil !
Mangé par les rides.
Trahi par son reflet à la surface du bol.
Que lui ai-je donné à voir ce matin ?
Des objets quotidiens.
Longuement décrits déjà.
Des formes éprouvées, connues, parcourues.
Que lui ai-je donné de neuf à voir ce matin ?
Des pages bavardes, suaves, blanches, vierges ?
Le ciel au travers du verre cathédrale de la porte d’entrée ?
Le ciel était vert, bizarrement cambré.
Etait-ce neuf ? Qu’ai-je donné de neuf à mon œil, ce matin ?
Pas le thé, ni la table carrée aux cicatrices éloquentes.
Pas le lent mouvement de la pendule déconsidérée
depuis qu’hier elle nous a menti sur l’heure du repas.
Pas le paysage qui s’offre en ouvrant les volets
qui menacent de rester entre nos mains depuis qu’un gond s’émancipe
et prétend jouer sa partition en solo.
De réellement neuf, à ton œil, qu’as-tu offert ?
Le spectacle du jardin qui s’effeuille ? Le découvres-tu ?
Les simagrées de la bouilloire qui postillonne ? Neuves ?
La robe de ta tisane citronnée ? Inédite ?
Qu’as-tu offert à ton œil ?
Penché sur mon bol fumant, les coudes plantés, les poings serrés sur mes pommettes et tournés vers l’intérieur, les pouces caressant le lobe de mes oreilles, îlots de douceur encore préservés, j’en étais là de mes songes quand deux mains fraîches se sont posées sur mes yeux et j’ai vu...
Serais-je le seul à voir ce matin ?