Thé CCLXXXII
J’ai couru.
J’ai couru.
Je me disais : “La machine va casser !”
Le cœur est bon, mais les jambes ?
Un claquage ! Tu risques un claquage !
— Pourquoi donc, ce matin, tôt, si tôt, courais-tu si vite ? Que ne profitais-tu de la couette sous laquelle la chaleur dispersée par Douce-Epouse ne bénéficiait à personne ?
Enfin vite. Tout est relatif. Pas l’ombre de l’espoir d’une qualification pour les jeux olympiques de Nogent-Le-Rotrou (France).
Allonge les jambes.
Lève les genoux.
Lance le pied.
Déploie la cheville.
Soigne tes appuis.
Cours, bonhomme, cours !
Et j’ai couru comme jamais. A longues enjambées.
Le souffle était bon. Bonne capacité respiratoire.
Le cœur battait juste.
Les pas sonnaient comme forge.
J’ai couru.
Comme jadis, le vent siffla à mes oreilles.
J’ai couru pour aller vérifier la rumeur.
A cette heure, pas de circulation.
Aucune mère de famille pour couler le stop entre l’école et la maison du docteur. C’est qu’il faut se méfier des mères de famille en maraude !
Pas de brouillard poisseux d’où émergerait une automobile pilotée par une embrumée en chemise de nuit.
Non !
La route nue.
Le bitume sonnant.
Les matous, de retour de folles virées nocturnes, m’ont vu jaillir, indifférents, vers le lieu de mes inquiétudes.
LA RUMEUR !
Il fallait que j’entende de mes propres yeux ( je fais comme je veux) si elle disait vrai.
Hier soir, tard, Madame Yvonne téléphone :
— "Cher voisin, vous connaissez la nouvelle ?
— Oui !
— Aaah !
— Non, je plaisante.
— Aaaargh !"
Quoi ?
Madame Yvonne aurait défuncté ?
Non ! Je plaisante.
Aaaargh !
Je raconte brièvement.
Si !
J’en suis capable !
Droit au but.
STOP !
Non ! STOP ! Confie le secret dévoilé par Madame Yvonne !
J’y étais presque.
Monsieur
et
Madame
Patapin
vendent
leur
fonds
de
commerce
et
partent
s’installer
en
Normandie
où les clients ajoutent du beurre sur les croissants.
Madame Patapin ?
Sa peau si laiteuse !
Monsieur Patapin ?
Son teint si gris !
J’ai couru, couru et je suis arrivé. A moins d’un claquage, c’était inéluctable. Chaque foulée me rapprochait du lieu. Je n’étais même pas essoufflé.
Je l’ai entendu de leur propre bouche.
— “L’enclos est trop petit ici... etc.”
Je ne reprends pas l’histoire de la chèvre de Monsieur Seguin.
Bonne chance en Normandie !
Ici point du Normand, que du Percheron !
Successeurs ?
Je n’ai pas entendu leur réponse, mes yeux se brouillaient.
Je suis rentré à pas lents.
Des pas d’orvet.
Je suis si fatigué !
Mais, ce matin, je sais un peu pourquoi.