Thé CLXII

Dans sa lettre LXVI, Montesquieu écrit :
“La Nature semblait avoir sagement pourvu à ce que les sottises des hommes fussent passagères, et les livres les immortalisent.”

Tu relis cela avant de te coucher, tu y penses dans le silence de la nuit, tu t’éveilles, tu lances ta machine, tu t’assieds devant l’écran blafard, tu mesures ta vanité, tu calcules qu’en cent soixante-deux billets tu n’as rien écrit qui pèse plus d’un gramme et tu en ris car, justement, c’était là ton ambition : ne pas dépasser le poids maximal d’un sachet de thé à l’issue des trois cent soixante-cinq billets de l’année deux mil sept.

Si, donc, au cent soixante-deuxième jour tu n’as pas encore dépassé le gramme, tu es en bonne voie de remporter ton pari.

Tu songes qu’à l’issue de ta gageure, tu imprimeras les trois cent soixante-cinq pages, tu les plongeras dans l’eau frémissante, tu regarderas l’encre se diluer dans le vase que tu auras élu, tu y tremperas peut-être les lèvres et tu tireras la chasse.

Tu te dis que, ce billet à peine clos, tu descendras l’escalier, tu feras chauffer l’eau, tu dresseras machinalement la panoplie requise, tu effectueras ces gestes quotidiens qui ne sollicitent même plus le recours à la pensée, tu te demanderas à quoi tu auras bien pu utiliser ces moments rendus disponibles et tu ne sauras pas y répondre. La pendule te dictera ses injonctions, tu avaleras une gorgée d’air et, quand ton épouse te demandera si ta plume fut inventive, tu regretteras d’avoir cédé à la mélancolie, toi qui voulais paraître léger !

Comments

[Papistache]

Trop longtemps infusées les feuilles libèrent leur amertume. C'est juste.
Il ne faut pas trop se pencher sur le passé, on oublie l'heure et le résultat est là.
Le breuvage prend la couleur de la bannière.

[tilu]

Thé amer ce matin ?

[Moi]

Alors celui là, je l'aime pô du tout.