Thé CCCLI
“J’leur ai dit qu’è’ pouvaient entrer ici
Se servir, manger et boire et danser
è’ m’ont écouté
J’ai cru qu’ y’ aurait jamais assez d’ place
Mais è’ s’sont tassées, et è s’sont poussées
I’ y’avait du monde.”
Oh ! Pas les internautes ! Je les recevrais bien mieux que cela.
Chacune à l’honneur, pas en groupe de six.
Hier, si le thé a gelé dans les tasses oubliées sur la souche du vieil arbre, alors les petites visiteuses du jardin avaient bien besoin de combler la rapide déperdition de leurs calories. Exploit renouvelé chaque matin. Tenter de maintenir leur petit corps au chaud.
Elles savent bien, les mésanges, où trouver pitance.
Il gèle.
Les graines sont difficiles à arracher au sol durci.
Hop ! elles rappliquent vers leurs lieux de nourrissage.
Chez l’un !
Chez l’autre !
Odorat ?
Mémoire ?
Hasard ?
Vue ?
Qu’est-ce qui préside au choix de l’itinéraire des mésanges.
Un peu tout ça, peut-être !
A boire ! Quand il gèle, donner à boire également aux visiteuses.
Que donner à boire ?
Gagné.
Une légère infusion de thé tiède. A peine tiède, d’ailleurs.
Vite refroidie.
Au jardinet — heureusement, hier, c’était dimanche et la fenêtre est large — j’ai guetté les allées et venues.
Les mâles, les femelles.
Comment reconnaître les mésanges charbonnières mâles ?
Comme tout le monde !
Le mâle arbore une large bande noire qui descend du cou sur le ventre, la femelle une bande fine, voire discontinue.
J’attends les mésanges huppées.
Trop tôt.
Pas assez froid !
Elles ne quittent pas leurs sapinettes pour trois degrés au-dessous de zéro. Il leur en faut plus.
Certaines années, on ne les voit pas.
Enfin, pas le dimanche !
Le rouge-gorge également est là.
Opportuniste.
Il se place sous la boule de graisse et toutes les graines arrachées au magma et qui échappent aux mésanges...
pour lui !
Belle vie !
Belle vie ?
Chienne de vie ! Oui !
80 % de ce que mangent les petits oiseaux ne sert qu’à maintenir leur corps à bonne température. Et l’hiver — qui n’est pas encore là — plus la nourriture devient difficile à arracher au sol gelé plus il en faut.
Le rapport avec le thé du matin ?
C’est qu’hier, je suis resté scotché à la vitre toute la journée. Pratique les doubles vitrages ; les oiseaux ne voient pas au travers. Miroir sans tain. Poste d’observation bien au chaud.
Hier, mon thé matutinal a duré jusqu’à la tombée du jour.
Scotché, j’ai dit.
Une tasse à la main, la bouilloire en permanence sur le feu.
Poste d’observation juste délaissé le temps d’abandonner les décilitres migrant du bol à la cuvette.
Chienne de vie ?
Belle vie, plutôt !
La chaleur du foyer, le spectacle assuré, le thé à profusion et même un petit sablé à tremper, le petit doigt négligemment en l’air.
— "Alors, me dira Grenouille, qu’as-tu fait de ton week-end ?
— J’ai regardé les mésanges."
Et elle me racontera qu’en effectuant son footing ( il semblerait que cela s’apparente à de la course à pied ) son bras gauche a gelé et qu’on a dû la conduire aux urgences pour lui administrer des piqûres de sérum chaud.
Son époux se sera rompu quelques os en chutant du haut d’une falaise en se fourvoyant lors d’une épreuve de V.T.T ( des gaillards, tous adultes, en culotte courte qui se poursuivent à bicyclette dans les chemins creux et en transpirant comme des retraités de Floride sur leur transat électrique) et on sera sans nouvelle d’un ou deux de ses enfants momentanément égarés à l’issue d’une course d’orientation en terrain clos. Les joies de la famille sportive.
A la vitesse où ces gens se déplacent, ont-ils jamais le temps de discerner le sexe des mésanges charbonnières ?
Je n’ai qu’à tendre la main vers mon bol pour siroter lentement mon premier thé du jour.
— "Lentement ? Lentement ? Je voudrais bien t’y voir ? As-tu vu la pendule ?
— Ah ! Epouse-Toujours-Sur-Le-Qui-Vive, tu aurais pu épouser un sportif. Tu l’aurais consolidé chaque lundi. C’est vraiment fragile, cette engeance ! Non ? Pas comme les mésanges ! Costaudes, les bestioles ! Costaudes ! J'arrive !"