Thé CCCXXVIII
Air froid.
Baisse la tête ! Les soliveaux risqueraient de meurtrir ton crâne de peau.
Epouse-Ordonnée a procédé, jadis, à l’archivage des vieux disques vinyles.
— "Dans un carton, à gauche du chapeau de sorcière, derrière la boîte où reposent les magazines de bricolage !"
Ce ne peut être que celui-là !
Un genou en terre.
Le plancher du grenier est propre.
Malgré mon pantalon, je sens le froid des lattes en franchir l’étoffe pourtant épaisse.
Je pose mon bol.
Exact.
Ils sont là.
Rangés comme jamais.
En attente du jugement dernier.
Mes deux mains recherchent la pochette attendue
Tous ces souvenirs !
Tous ces chanteurs !
Tous ces ...
Pas d’attendrissement exagéré, une pochette t’intéresse, prends-en deux !
— "J’ai retrouvé le disque !
— Formidouble ! As-tu remis le carton en place ?"
J’ai dû gravir les marches du grenier, une seconde fois, pour remettre le carton à sa place. Des fois que les chauves-souris ne reconnaîtraient pas leur domaine !
— "Dépose-donc, en passant, ton bol dans le lave-vaisselle !"
Le bol ?
Oublié !
Je connais le chemin !
Face A, Face B.
A l’heure du piratage des œuvres musicales, ressortir un vieux disque noir, te range illico au rang des vieilles choses, mais, tu aimes tant être flatté que tu en rajoutes bien un petit peu, non ? Si !
J’en parlais la semaine passée. Un air oublié est revenu aux lèvres d’Epouse-Guillerette. J’avais gardé le souvenir du titre de l’album.
Paroles de femme. Mannick.
Bon, pour les paroles, pas de chance, le texte n’est pas joint à la pochette. L’appareil qui lisait les 33 tours n’a pas survécu au déménagement et tous mes efforts pour faire entrer la galette réglisse dans le lecteur de CD de l’ordinateur sont restés vains.
Dérisoires,
risibles,
mais vains !
Restent les titres !
Face A : Face B :
Je viens du fond de mon enfance 2’18” Je m’en vais 3’48”
Je t’aime 3’13” De quel Bleu 2’30”
Quand j’étais petite fille 3’16” Toi ou moi 2’41”
Goûte-moi ce soleil 2’40” Ai-je vraiment le mal de toi 3’24”
Berceuse pour un enfant à naître 3’16” Je t’ai guetté mon corps 2’50”
Paroles et musique de Marie-Annick Rétif.
Qui faudrait-il que je corrompe pour obtenir une cassette copiée sur ce disque probablement fort grésillant ?
Une cassette ?
Une cassette ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Riez !
Riez !
Si vous pouviez voir nos artères, à mes frères de maternelle et moi, elles sont plus vieilles que le moindre lecteur de cassettes et nous sommes encore nombreux à vouloir notre place au soleil garder !
Et puis tant pis, usez vos poumons, Epouse-Rajeunie sifflote pour moi de bien nostalgiques airs. Gardez votre cassette !
Je vais de ce pas, lui montrer mon trésor, elle me jouera bien un petit concert. Tiens, je vais me resservir une tasse de thé, le contenu du bol était décidément trop froid !
— "N’as-tu pas écrit que tu sortais deux disques du carton ?
— Si fait, si fait ! Mais, là, nous possédons l’accès à une interprétation toute contemporaine. Merveille de la science informatique.
— De Catherine Leforestier ? Chanté par Tilu !
— Exact, la pochette où Catherine est coiffée comme tu le fus pour tes vingt ans !
Le pays de ton corps !
— Mets le lien !
— Je sais pas faire ! Je sais pas faire ! Je sais pas faire ! Pas faire !
— C’est pas grave ! Je sais les mots qui consolent ! Viens !"