Thé CXX
Hier après-midi...
Etait-ce bien l’après-midi ?
Oui, l’orage était passé au-dessus de nos têtes, noircissant le ciel et l’emplissant de grondements inquiétants mais prometteurs de trombes sympathiques. Espoirs déçus. Le vent avait porté ailleurs les perspectives de pluie nourricière.
Hier après-midi...
Etait-ce hier ?
Oui, Jamais-Assise peignait de jaune les trente-six mille cadres par elle dénichés au paradis du bazar inorganisé.
Hier en fin d’après-midi, Jamais-Fatiguée-Toujours-Attentionnée, pousse du pied la porte de la chambre rose. Le plateau ovale la précède de quelques centimètres. Elle dépose ce premier sur la table facétieuse que Grisette confectionna en souvenir de ces jeux de Pous-pous que Bonux offrait en cadeau aux enfants des pauvres à l‘époque où le linge se lavait en machine.
– Je t’ai préparé une petite pause thé. Je ne te vois plus.
– Comme c’est gentil !
– Je ne te reconnais pas. Tu ne dors plus, tu ne manges plus, tu ne jardines plus, tu oublies les rituels du thé. Qu’est-ce qui te mine ?
Jamais-Fatiguée-Toujours-Attentionnée-Parfois-Inquiète exagère, je me suis assoupi vers deux heures du matin, la joue posée sur la flore de Gaston Bonnier : “Le nom des fleurs trouvés par la méthode simple, édition du 4ème trimestre 1960, payée 13,00 F de l’époque”. J’ai donc dormi. Manger, c’est difficile, l’appétit m’est coupé. Jardiner, ce fut samedi mais depuis que la nuit est tombée je suis perclus d’incertitude. Alors le thé, je n’y pensais plus.
– Qu’est-ce qui te mine ?
– Une image me hante. Une plante inconnue me nargue. Quel est son nom ?
– Où pousse-t-elle ?
– Sur la toile ! Je l’y ai vue, je ne parviens pas à l’identifier.
Est-ce une vue aérienne de la plante ? Est-ce une vue frontale ? Déjà, ça, je l‘ignore. On dirait une haie, mais on ne distingue pas de traces de coupe. Ou alors le jardinier est habile et il pince le feuillage plutôt qu’il ne le taille. C’est peut-être un tapis végétal, une mousse, une plante aquatique qui couvrirait une mare ou une zone très humide, une tourbière ?
Les feuilles disposées en croix autour de l’axe de la tige. Des feuilles courtes, plates, en écailles dirait-on, mais quel conifère alors ?
– Et les fleurs ?
– L’image ne présente pas la floraison.
– Mais la flore de M. Bonnier ne permet d’identifier que les plantes à fleurs.
– C’est là le drame. Le thé est parfait, les biscuits au citron en exacte adéquation. Merci.
– Je te laisse à tes recherches. Ne veille pas trop tard !
Ce matin, Jamais-Fatiguée-Toujours-Attentionnée-Plus-Que-Chagrinée, s’approche de l’ordinateur.
– Tu n’es pas venu te coucher ? Tu as passé la nuit à chercher à identifier cette image entrevue sur le net ? Tu déraisonnes mon ami, allez sous la douche, aujourd’hui tu ne fais pas le pont.
Mais qu’est-ce que c’est que ce billet que je découvre pendant que mon époux s’éclabousse ?
– Tu comptes vraiment publier cette note à 6 h 01 ?
– Certes, j’en suis assez content.
– Mais c’est un tissu de mensonges ! S’agirait-il de ce jeu que cette jeune femme du delta du Rhône a lancé sur son bloc-notes et que tu m’as montré voici deux jours ?
– Oui, c’est...
– Mais, si elle te lit, elle va culpabiliser à mort en croyant t’avoir rendu insomniaque.
– Tu penses que j’en aurais trop fait ?
– Mais certainement ! Perdu le boire et le manger ? Non mais ! C’est bien toi qui a cuisiné le “Picaterre” de dimanche. Non ? Et la deuxième part de tarte aux fruits, est-ce la voisine qui l’a demandée et obtenue ? Et tu aurais passé deux nuits blanches penché sur ta flore jaunie ? Oublies-tu qui t’a tiré du lit ce matin ?
– Il me semblait que la licence poétique autorisait quelques entorses à la vérité.
– Des entorses ! Eh, bien l’ostéopathe qui devra rétablir la vérité a intérêt à maîtriser son art parce qu’elle est bien amochée la vérité. Allez, je t’en prie, recommence ce billet et rassure cette ludique photographe.
– Quelle heure est-il ?
– Six heures et trente secondes.
Pas le temps de modifier quoi que ce soit. Je dois poster dès 6 h 01, c’est ma signature. Comprenne qui pourra et pardonnent ceux qui m’aiment.