Thé XXII
J’ouvre les volets.
La nuit s’attarde encore un peu ; c’est son plaisir à la nuit. Chacun les siens.
La journée promet d’être frisquette. Ce serait bien qu’elle, au moins, s’attache à ne pas trop décevoir.
Je me souviens de mon premier thé.
Est-il donné à tous, de se souvenir de sa première infusion ?
Oh ! j’avais aussi oublié le vin chaud de ma grand-mère Palmyre. En ce temps-là, on avait des hivers ! Surtout qu’on y allait à vélo, chez Mémère. Enfin, Papa pédalait et moi je le guidais, assis sur le porte-bagages qui surmontait la roue avant. Heureusement que je lui montrais la route ! Comme on transpirait tous les deux ! Oh ! La côte du cimetière ! La côte du cimetière ! A quel âge l’ai-je donc vaincue pour la première fois ?
Mon premier thé ?
J’avais dix-huit ans (beau comme un enfant et fort comme un homme ? Même pas dans le désordre !) et probablement étais-je le seul moniteur du monde à n’avoir jamais chaussé un ski ; alors deux ? Mais Michel m’avait fait confiance et nous étions au sommet de pistes où s’ébrouaient des vents de circonstance, à 2000 m.
Le soleil brillait. Le ciel, bleu Technicolor. Le cuisinier de la colonie de vacances (on disait encore colonie de vacances et moniteur à l’époque) venait de déposer une marmite norvégienne, tout en acier miroitant, remplie jusqu’à la gueule d’un breuvage citronné que nous bûmes (Oh, s’il vous plaît, permettez-moi ce passé simple, il a la classe qui accompagne ce souvenir revigorant.) sur les cimes du Valais suisse.
Confit* soit ce coq indigène qui m’ouvrit l’appétit aux amertumes consenties.
- “Hardi, mon amour ! L’air frais du matin, à défaut de t’avoir ouvert l’appétit, aurait-il réveillé quelque souvenir enfoui, que je te trouve transi, presque nu à la fenêtre grande ouverte ? Songes-tu, innocent convalescent, que tu déglutissais à grand-peine, voici tout juste une petite semaine ?
- Chère Non-ennemie, ce matin je venais juste d’avoir dix-huit ans.
- Alors vêts-toi, adolescent tardif et frétille nous préparer un thé vivifiant.”
Diable**, j’avais également oublié qu’il restait du flan pâtissier pour le petit déjeuner. Fissa !
*J’ai préféré “confit” à “bénit” pour rester fidèle à mes convictions, même si “béni“ sans “t“ aurait pu faire l‘affaire.
** Là, je garde, en dépit de mes convictions, parce qu’après tout, c’est moi qui tiens la plume.